Les dispositions des articles 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale, relatives aux réquisitions de données informatiques, sont contraires à la constitution. L’abrogation immédiate des dispositions contestées pouvant avoir des conséquences manifestement excessives, l’effet de cette décision est différé au 31 décembre 2022.

A la suite d’une saisine par le tribunal correctionnel de Douai, la Cour de cassation a, le 23 septembre 2021, saisi le Conseil constitutionnel par une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur les articles 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale ainsi (mal) rédigée :

« En édictant les dispositions des articles 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale, lesquelles autorisent, dans le cadre d’une enquête préliminaire, le procureur de la République – qui n’est pas une autorité ou une entité indépendante – ou sur autorisation de celui-ci, l’officier ou l’agent de police judiciaire, par tout moyen, de requérir toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des informations intéressant l’enquête, y compris celles issues d’un système informatique ou d’un traitement de données nominatives, de lui remettre ces informations, par décision du seul procureur de la République et sans contrôle préalable par une juridiction indépendante, le législateur a-t-il d’une part porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, protégés aux articles de la CEDH, et aux articles 4,5,6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, ainsi qu’aux droits de la défense et à un recours effectif et, d’autre part, méconnu sa propre compétence en affectant ces mêmes droits et liberté que la Constitution garantit ? ».

La question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « y compris celles issues d’un système informatique ou d’un traitement de données nominatives, » figurant à la première phrase du premier alinéa de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale et « aux réquisitions prévues par le premier alinéa de l’article 60-2 » figurant au premier alinéa de l’article 77-1-2 du même code.

Les dispositions contestées autorisent le procureur de la République et les officiers et agents de police judiciaire à se faire communiquer des données de connexion[1] ou à y avoir accès. L’article 77-1-1 du code de procédure pénale concerne l’enquête préliminaire. Il permet au procureur de la République ou, sur son autorisation, à un officier ou à un agent de police judiciaire, de requérir, par tout moyen, des informations détenues par toute personne publique ou privée y compris celles issues d’un système informatique ou d’un traitement de données nominatives, sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l’obligation au secret professionnel. L’article 77-1-2, quant à lui, est une transposition pour l’enquête préliminaire des dispositions prévues par l’article 60-2 du code de procédure pénale qui encadre la réquisition par voie télématique ou informatique.

Le Conseil constitutionnel rappelle le caractère sensible des données de connexion : elles comportent notamment les données relatives à l’identification des personnes, à leur localisation et à leurs contacts téléphoniques et numériques ainsi qu’aux services de communication au public en ligne qu’elles consultent. Compte tenu de leur nature, de leur diversité et des traitements dont elles peuvent faire l’objet, les données de connexion fournissent sur les personnes en cause ainsi que, le cas échéant, sur des tiers, des informations nombreuses et précises, particulièrement attentatoires à leur vie privée.

Article 77-1-1 du code de procédure pénale

« Le procureur de la République ou, sur autorisation de celui-ci, l’officier ou l’agent de police judiciaire, peut, par tout moyen, requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des informations intéressant l’enquête, y compris celles issues d’un système informatique ou d’un traitement de données nominatives, de lui remettre ces informations, notamment sous forme numérique, le cas échéant selon des normes fixées par voie réglementaire, sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l’obligation au secret professionnel. Lorsque les réquisitions concernent des personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-5, la remise des informations ne peut intervenir qu’avec leur accord.
« En cas d’absence de réponse de la personne aux réquisitions, les dispositions du second alinéa de l’article 60-1 sont applicables.
« Le dernier alinéa de l’article 60-1 est également applicable.
« Le procureur de la République peut, par la voie d’instructions générales prises en application de l’article 39-3, autoriser les officiers ou agents de police judiciaire, pour des catégories d’infractions qu’il détermine, à requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique, de leur remettre des informations intéressant l’enquête qui sont issues d’un système de vidéoprotection. Le procureur est avisé sans délai de ces réquisitions. Ces instructions générales ont une durée qui ne peut excéder six mois. Elles peuvent être renouvelées ».

Article 77-1-2 du code de procédure pénale

« Sur autorisation du procureur de la République, l’officier ou l’agent de police judiciaire peut procéder aux réquisitions prévues par le premier alinéa de l’article 60-2.
« Sur autorisation du juge des libertés et de la détention saisi à cette fin par le procureur de la République, l’officier ou l’agent de police peut procéder aux réquisitions prévues par le deuxième alinéa de l’article 60-2.
« Les organismes ou personnes concernés mettent à disposition les informations requises par voie télématique ou informatique dans les meilleurs délais.
« Le fait de refuser de répondre sans motif légitime à ces réquisitions est puni conformément aux dispositions du quatrième alinéa de l’article 60-2 ».

Article 60-2 du code de procédure pénale (réquisition informatique)

(alinéa 1) Sur demande de l’officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de ce dernier, de l’agent de police judiciaire, intervenant par voie télématique ou informatique, les organismes publics ou les personnes morales de droit privé, à l’exception de ceux visés au d) [2]du 2 de l’article 9 du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 précité et au 2° de l’article 80[3] de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, mettent à sa disposition les informations utiles à la manifestation de la vérité, à l’exception de celles protégées par un secret prévu par la loi, contenues dans le ou les systèmes informatiques ou de traitement de données qu’ils administrent.

[…]

Pour censurer ces deux articles, il considère que l’enquête préliminaire peut porter sur tout type d’infraction et n’est pas justifiée par l’urgence ni limitée dans le temps. L’autorisation du procureur de la République n’est pas une garantie suffisante encadrant le recours aux réquisitions de données de connexion. Tout en rappelant que le procureur de la République, magistrat de l’ordre judiciaire, est chargé par l’article 39-3 du code de procédure pénale, de contrôler la légalité des moyens mis en œuvre par les enquêteurs et la proportionnalité des actes d’investigation au regard de la nature et de la gravité des faits, les Sages estiment ce dispositif insuffisant.

Le législateur n’a pas entouré la procédure prévue par les dispositions contestées de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre le droit au respect de la vie privée et l’objectif à valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions. Le Conseil constitutionnel déclare en conséquence les dispositions contestées contraires à la Constitution. La censure des articles est cependant différée au 31 décembre 2022.

Il appartient donc au législateur de corriger d’urgence cette inconstitutionnalité, sauf à créer un vide juridique particulièrement préjudiciable aux investigations dans l’espace numérique qui, rappelons-le, détient, selon la Commission européenne, 85% des preuves.

L’indépendance du procureur de la République est contestée par la Cour européenne de droits de l’Homme[4], comme par la CJUE[5], au motif que le parquet est hiérarchisé, dépend du garde des sceaux et est partie au procès en exerçant l’action publique.

D’une manière générale, malgré la « baïonnette intelligente » conçue par le Conseil d’État (décision du 21 avril 2021), l’accès par les enquêteurs aux données de connexion fait l’objet de contestations judiciaires répétées. La protection des libertés est une exigence démocratique, mais celle des victimes également. Or, combien d’entre elles ne verront jamais leur prédateur incriminé, si les pouvoirs des enquêteurs sont rognés ? La preuve judiciaire est de plus en plus numérique. C’est pourquoi, compte tenu de l’augmentation du nombre et de la qualité des investigations numériques, il y a lieu de spécialiser un magistrat, soit en prévoyant une extension des pouvoirs de contrôle du juge des libertés et de la détention, soit en créant un magistrat dédié au contrôle des investigations numériques intrusives.

[1] Données techniques relatives à l’identification des numéros d’abonnement ou de connexion à des services de communications électroniques, au recensement de l’ensemble des numéros d’abonnement ou de connexion d’une personne désignée, aux données relatives à la localisation des équipements terminaux utilisés ainsi qu’aux données techniques relatives aux communications d’un abonné portant sur la liste des numéros appelés et appelants, la durée et la date des communications. Trois catégories : les données d’identité, qui permettent d’identifier l’utilisateur d’un moyen de communication électronique (par exemple les nom et prénom liés à un numéro de téléphone ou l’adresse IP par laquelle un utilisateur se connecte à internet) ; les données relatives au trafic, parfois appelées « fadettes », qui tracent les dates, heures et destinataires des communications électroniques, ou la liste des sites internet consultés ; les données de localisation, qui résultent du « bornage » d’un appareil par l’antenne relais à laquelle il s’est connecté.

[2] d) le traitement est effectué, dans le cadre de leurs activités légitimes et moyennant les garanties appropriées, par une fondation, une association ou tout autre organisme à but non lucratif et poursuivant une finalité politique, philosophique, religieuse ou syndicale, à condition que ledit traitement se rapporte exclusivement aux membres ou aux anciens membres dudit organisme ou aux personnes entretenant avec celui-ci des contacts réguliers en liaison avec ses finalités et que les données à caractère personnel ne soient pas communiquées en dehors de cet organisme sans le consentement des personnes concernées.

[3] 2° D’exercice à titre professionnel, de l’activité de journaliste, dans le respect des règles déontologiques de cette profession.

[4] Le procureur de la République ne peut se voir reconnaître le statut « d’autorité judiciaire » au sens de la Convention (CEDH, arrêt Medvedyev/France, 29 mars 2010). La même année, la Cour de cassation a indiqué dans ses attendus que c’est à tort que la chambre de l’instruction a retenu que le ministère public est une autorité judiciaire alors qu’il ne présente pas les garanties d’indépendance et d’impartialité requises par la Convention européenne des droits de l’homme (Cass.crim n°7177 (10-83.674) du 15 décembre 2010).

[5] CJUE, 2 mars 2021, C-746/18 sur les réquisitions de données de connexion : « l’accès des autorités nationales compétentes aux données conservées est subordonné à un contrôle préalable effectué soit par une juridiction soit par une entité administrative indépendante et que la décision de cette juridiction ou de cette entité intervienne à la suite d’une demande motivée de ces autorités présentées, notamment, dans le cadre de procédures de prévention, de détection ou de poursuites pénales. » (§51). « Tel n’est pas le cas d’un ministère public qui dirige la procédure d’enquête et exerce, le cas échéant, l’action publique. En effet, le ministère public a pour mission non pas de trancher en toute indépendance un litige, mais de le soumettre, le cas échéant, à la juridiction compétente, en tant que partie au procès exerçant l’action pénale » (§55).

Restez informés en temps réel
S'inscrire à
la newsletter
En fournissant votre email vous acceptez de recevoir la newsletter de Incyber et vous avez pris connaissance de notre politique de confidentialité. Vous pourrez vous désinscrire à tout moment en cliquant sur le lien de désabonnement présent dans tous nos emails.
Restez informés en temps réel
S'inscrire à
la newsletter
En fournissant votre email vous acceptez de recevoir la newsletter de Incyber et vous avez pris connaissance de notre politique de confidentialité. Vous pourrez vous désinscrire à tout moment en cliquant sur le lien de désabonnement présent dans tous nos emails.