Conseil Constitutionnel – décision n° 2021-924 QPC du 9 juillet 2021, la Quadrature du Net

La transmission d’informations aux services de renseignement par les autorités administratives n’est pas conforme à la Constitution, car le législateur n’a pas prévu les garanties suffisantes pour encadrer une action qui concerne le plus souvent des données à caractère personnel. L’échange d’informations entre services de renseignement est, en revanche, conforme à la Constitution.

Le 19 mai 2021, le Conseil d’Etat saisit le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par la Quadrature du Net. Celle-ci conteste la conformité à la Constitution de l’article L. 863-2 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste.

 

Le droit en cause

L’article L. 863-2 du code de la sécurité intérieure comprend trois alinéas.

Le premier dispose que les services spécialisés de renseignement du « premier cercle » (art.811-2 du CSI[1]) et les services du deuxième cercle (art.811-4 du CSI[2]) peuvent partager toutes les informations utiles à l’accomplissement de leurs missions définies par le code de la sécurité intérieure.

Le second alinéa concerne les autorités administratives[3] mentionnées à l’article 1er de l’ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives. Il permet à ces dernières de transmettre aux services mentionnés au premier alinéa, de leur propre initiative ou sur requête de ces derniers, des informations utiles à l’accomplissement des missions de ces derniers.

Le troisième alinéa renvoie à un décret en Conseil d’Etat le soin de fixer les modalités et les conditions d’application.

L’association requérante reproche au législateur d’avoir méconnu l’étendue de sa compétence et ainsi affecté le droit au respect de la vie privée, la protection des données personnelles, le secret des correspondances ainsi que la liberté d’expression. Elle reproche notamment aux dispositions de l’article incriminé de ne pas définir les informations pouvant être partagées, les catégories de personnes pouvant accéder à ces dernières, les finalités de ce partage ainsi que son régime juridique.

 

La décision des Sages

Les services de renseignement concourent à la défense des intérêts fondamentaux de la Nation

Le Conseil constitutionnel déclare conforme à la Constitution l’alinéa 1er qui prévoit l’échange entre services de renseignement mais censure l’alinéa 2 qui autorise l’échange vers les services de renseignement.

Les services spécialisés de renseignement du « premier cercle » ont pour missions la recherche, la collecte, l’exploitation et la mise à disposition du Gouvernement des renseignements relatifs aux enjeux géopolitiques et stratégiques ainsi qu’aux menaces et aux risques susceptibles d’affecter la vie de la Nation. Ils mettent en œuvre des techniques pour le recueil des renseignements relatifs à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation. Les services du « second cercle » peuvent aussi recourir à certaines de ces techniques selon des finalités propres à chacun. Qu’ils appartiennent à l’une ou à l’autre catégorie, les services appelés à partager entre eux les informations sont tous des services concourant à la défense des intérêts fondamentaux de la Nation.

 

Le partage d’informations entre services est conforme aux exigences constitutionnelles

Le législateur a organisé et sécurisé le partage d’informations entre les services de renseignement afin d’accroître leur capacité opérationnelle. Les dispositions en cause mettent en œuvre les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation.

S’agissant de l’information, un service de renseignement détenteur ne peut partager que si celle-ci est nécessaire à l’accomplissement des missions du service destinataire. Les informations ainsi partagées sont soumises au respect des règles encadrant les traitements de données à caractère personnel par les services de renseignement et, s’agissant des données recueillies au moyen de techniques de renseignement, des règles mentionnées au livre VIII du code de la sécurité intérieure. D’autre part, les dispositions contestées ne font pas obstacle au contrôle susceptible d’être exercé, par les autorités compétentes, sur les informations partagées.

En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu améliorer l’information des services de renseignement. Ce faisant, ces dispositions mettent en œuvre les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation.

 

La communication d’informations aux services de renseignement n’est pas encadrée par le législateur

La transmission d’informations peut avoir lieu à la seule initiative d’autorités administratives, dont les missions peuvent être sans lien avec celles des services de renseignement. Les informations communiquées aux services de renseignement sont toutes les « informations utiles » à l’accomplissement des missions de ces derniers sans que le législateur n’ait précisé la nature des informations concernées. La communication d’informations ainsi autorisée peut porter sur toute catégorie de données à caractère personnel, dont notamment des informations « sensibles » relatives à la santé, aux opinions politiques et aux convictions religieuses ou philosophiques des personnes. Le législateur n’a prévu aucune garantie encadrant ces transmissions d’informations. Le deuxième alinéa de l’article L. 863-2 méconnaît donc le droit au respect de la vie privée.

L’abrogation de ces dispositions est reportée au 31 décembre 2021. Les mesures prises avant la publication de la présente décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

[1] DGSE, DGSI, DNRED, DRM, DRSD, TRACFIN

[2] Certains services de la police, de la gendarmerie, de l’administration pénitentiaire

[3] Les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics à caractère administratif, les organismes gérant des régimes de protection sociale relevant du code de la sécurité sociale et du code rural ou mentionnés aux articles L. 223-16 et L. 351-21 du code du travail et les autres organismes chargés de la gestion d’un service public administratif ainsi que les commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives prévues à l’article 7-2 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement.

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