15 milliards, c’est le nombre d’objets connectés dans le monde à l’heure actuelle, nombre qui sera multiplié par cinq d’ici 2020 selon l’Institut de l’audiovisuel et des télécommunications en Europe dans un rapport publié en 2013. La voiture n’échappant pas à cette tendance du « tout connecté », le sujet du petit-déjeuner de l’Observatoire du FIC sur le thème de « la voiture connectée – Infrastructures, véhicules et conducteurs : un avenir connecté », en présence de Christine Tissot, experte des systèmes de transport intelligent chez Renault, de Jean-François Huère, délégué à la sécurité routière pour PSA Peugeot Citroën, du Colonel Franck Marescal, chef de l’Observatoire Central des Systèmes de Transport Intelligents et d’Eric Ollinger, adjoint au chargé de la sous-direction de la gestion du réseau routier non concédé et du trafic, semblait alors tout à fait pertinent.

Conscient du fort potentiel de ce marché, le président de la République, François Hollande, présentait, le 12 septembre 2013, les 34 plans de « la nouvelle France industrielle » et promettait de placer notre pays au premier rang de la compétition mondiale notamment en matière de véhicule connecté. En amont d’une commercialisation prochaine à grande échelle, plusieurs négociations et débats doivent être menés par les différents acteurs économiques de ce projet.

L’évolution progressive des véhicules

Le monde de l’automobile a connu plusieurs rebondissements depuis la création du tout premier véhicule automobile à vapeur en 1770 par l’ingénieur français Joseph Cugnot. La connectique et l’informatique se sont progressivement invitées dans l’habitacle et, avec eux, un flot d’avantages mais également d’interrogations. Toutes les nouvelles fonctionnalités offertes grâce aux partenariats entre les constructeurs automobiles et les fournisseurs de services ont pour objectif de faciliter la conduite de l’automobiliste et, dans l’avenir, de le remplacer aux commandes sur le modèle du pilotage automatique dans l’aviation. Dans ce domaine, l’aéronautique est en avance en raison de la nécessité d’une hyper sécurité dans les airs mais aussi du fait que la voiture connectée est proposée au grand public et à grande échelle.

Pour Renault et PSA, les avancées ont été considérables depuis les années 2000 en matière d’assistance à la navigation passant d’un système de diffusion des informations de circulation aux automobilistes via la radio FM (RDS-TMC) à un système proposant des services connectés via la 3G/4G. Les véhicules disposeront d’un TCU (unité de télécommunication) intégrant une carte SIM et communiquant avec une plateforme de services connectés. Les utilisateurs auront également accès à des services accessibles sur abonnement.

Dans les années à venir, la connectivité coopérative tendra à se développer entre les véhicules eux-mêmes et entre les véhicules et les infrastructures via le réseau Wi-Fi sur une fréquence dédiée de 5.9 Ghz. L’information proviendrait directement du véhicule, et non plus de détecteurs situés sous la chaussée, et transiterait par la plateforme SCOOP (Projet de déploiement pilote de systèmes de transport intelligents coopératifs) pour être relayée aux autres véhicules. Deux types de messages seront échangés : le cooperative awareness message (CAM) émis en continu et contenant des informations sur la vitesse, la direction, et le decentralized environmental notification message (DENM) émis quand un événement survient comme un véhicule en panne ou un freinage d’urgence.

Le projet SCOOP a été lancé en février 2014 et prévoit un déploiement de près de 3 000 véhicules et sur 2 000 kilomètres de routes. Plusieurs projets similaires en Europe tels que CVIS, COOPERS et SAFESPOT ont déjà confirmé leur faisabilité. La Commission européenne, très impliquée dans ce projet, aide au financement et à la mise en place d’une plateforme européenne. Les Etats-Unis, quant à eux, sont en avance concernant les tests des véhicules connectés et autonomes sur les routes. En effet, l’Etat de Californie a ajouté une division 16.6 à son code de la route (Vehicle code Section 38750) par le Senate Bill n°1298. Il dispose que : « un véhicule autonome peut être utilisé sur la voie publique à des fins de test […] ».

Pour PSA, à terme, la voiture connectée, contrairement au véhicule actuel, parviendra à satisfaire quatre besoins du client : le gain de temps, la sécurité, l’économie d’argent et la distraction. En effet, les parkings libres seront signalés, un système d’appel d’urgence permettra d’alerter les secours en cas d’accident, la prime d’assurance sera réévaluée en fonction du kilométrage et l’ordinateur de bord proposera des divertissements, pour ne citer que quelques possibilités.

Pour les gestionnaires du trafic, la connectivité coopérative présente des avantages tels qu’un usage plus serein de la voiture, une fluidification du trafic, une amélioration de la sécurité routière et une baisse des gaz à effet de serre.

La gendarmerie compte exploiter, très rapidement, le potentiel de ces nouvelles voitures. Elles permettront d’améliorer la réactivité des forces de police mais également, dans le futur, de prendre le contrôle d’un véhicule et de le garer à la place du conducteur. Le Colonel Franck Marescal souligne les bénéfices pour la sécurité routière et en matière de preuve en cas d’accident ou de vol.

Cependant, les principales questions qui restent en suspens sont de deux ordres. En termes de sécurité, sommes-nous réellement prêts à laisser notre vie entre les mains d’une machine ? Concernant l’attachement des Européens à leur voiture, sommes-nous prêts à bouleverser notre mode de conduite et pour certains, à abandonner le plaisir de conduire ? Les acteurs économiques, eux aussi, voient leur modèle économique modifié de manière plus ou moins positive.

L’implication des différents acteurs

L’écosystème de la voiture connectée devient plus complexe avec l’implication d’une multitude d’acteurs économiques comme en témoigne le schéma ci-après. Les constructeurs automobiles Renault et PSA ont, d’ores et déjà, confié leurs inquiétudes quant à l’arrivée inévitable des fournisseurs de services sur le marché de l’automobile.

voiture

Les différents services proposés par le véhicule connecté sont développés par des fournisseurs de services divers et variés tels que Google, Apple, SAP, Atos, Microsoft, Axa, et bien d’autres. L’enjeu pour le constructeur est de faire face à ce marché complexe, hétérogène et en mouvance permanente qui le place dans une position de concurrence avec les autres acteurs.

Chaque acteur souhaite tirer profit des diverses possibilités qu’offrent la voiture connectée à des fins commerciales ou à des fins d’information et de sécurité. Google annonçait déjà en mai 2014, alors que les objets connectés n’en étaient qu’à leur balbutiement, qu’il souhaitait afficher de la publicité sur tous les objets qui ont un accès à internet. La société se heurte, néanmoins, à un obstacle de taille : « les tableaux de bord des voitures ne sont pas similaires aux navigateurs Web – les gens ne vont pas apprécier si une publicité apparaît sur leur compteur de vitesse ».

PSA en partenariat avec IBM prévoit également de mettre la main sur ces données qui seront acheminées par le biais du réseau jusqu’aux datacenters d’IBM pour être traitées. Avec ce système, les constructeurs pourront connaître les utilisateurs et leur proposer des offres adaptées à leur expérience automobile voire les fidéliser, pratique dans un marché toujours plus concurrentiel où les consommateurs changent une fois sur deux de marque.

Les fournisseurs de services tout comme les gestionnaires de trafic seront également très intéressés par les données recueillies lors de l’utilisation des applications comme c’est déjà le cas avec le smartphone. Alors que les fournisseurs les utiliseront à des fins commerciales, les gestionnaires de trafic y verront une nouvelle manière d’informer et de garantir la sécurité sur les routes. Ils garantissent déjà que la façon dont les données seront utilisées et anonymisées feront l’objet d’un avis de la CNIL. Les données demeureront à l’intérieure du système SCOOP et toute extension devra faire l’objet d’un avis complémentaire de la CNIL.

Les constructeurs, fournisseurs, gestionnaires de trafic et entreprises commerciales diverses ne sont pas les seuls intéressés par ces données, il y a également les compagnies d’assurance qui voient là une véritable source d’informations et de diminution des risques. Les assureurs proposeront leur service « Pay as you drive » dès 2015 mais réfléchissent déjà à une offre « Pay how you drive ». Alors que la première offre concerne le nombre de kilomètres enregistré à l’aide d’un logiciel de géolocalisation, la seconde utilisera les informations recueillies par le véhicule pour estimer le risque d’accident en fonction du comportement du conducteur au volant.

Reste à définir quels rôles auront chacun de ces acteurs même s’il semblerait qu’on ne puisse les définir avec précision. En effet, Google pourrait bien tenir le rôle de fournisseur de services mais également de constructeur avec ses Google cars.

Les défis d’aujourd’hui

La commercialisation au public de la voiture connectée dans un futur proche amènera un flot de défis que les différents acteurs devront relever.

Au niveau juridique, la question qui se pose et qui inquiète les différentes parties impliquées, directement ou indirectement, dans un accident est celle de la responsabilité. Au vu de la réglementation actuelle, le conducteur ne pourra pas se défaire de sa responsabilité tant pénale que civile bien que la voiture ait agi totalement ou partiellement à sa place. Si la voiture prend une mauvaise décision ou contient une erreur dans son algorithme, pour garantir la sécurité des personnes et tout particulièrement leur indemnisation, le fournisseur voire le constructeur pourrait être tenu pour responsable en vertu des articles 1386-1 et suivants relatifs au régime de responsabilité des produits défectueux. PSA et Renault ne semblent pas prêts à adopter cette solution. Certains juristes prônent un régime de responsabilité en cascade où le premier responsable serait le fabricant automobile puis l’utilisateur et le propriétaire.

En termes de sécurité, la surface d’attaque générée par la voiture connectée est augmentée. Jean-François Huère jugeait important de rappeler que : « la voiture connectée ce n’est pas un smartphone avec des roues mais deux tonnes qui roulent à 130 km/h et qui transportent des êtres humains à l’intérieur ». Les défis en termes de sécurité sont, donc, de réussir à proposer un cloisonnement satisfaisant entre les réseaux de fonctionnement liés au système de conduite et les réseaux liés « aux médias ». PSA évoque un contrôle nécessaire dans le choix des fournisseurs de services pour garantir que l’application soit sécurisée et minimiser les risques de failles de sécurité. La principale crainte énoncée par le Colonel Franck Marescal demeure la prise de contrôle à distance.

Les enjeux de sécurité seront d’autant plus importants avec le déploiement de la connectivité coopérative. Renault est pilote d’un projet ITS Security 2014-2017 pour adapter les standards de sécurité à l’univers automobile. De plus, pour pouvoir émettre des messages, un véhicule doit avoir un certificat ce qui diminue le risque qu’une fausse information soit relayée.

Le risque de distraction constitue également un défi à relever. PSA prévoit déjà que l’accès à Facebook en roulant ne serait pas possible et que les informations ou publicités ne pourraient pas être fournies sur le pare-brise.

Les défis sont également normatifs. Christine Tissot précisait que « si une voiture Renault croise une voiture Peugeot, il faut qu’elles discutent, pour cela il faut des normes et des standards ». Des discussions ont lieu avec les différents acteurs pour élaborer des normes communes. Néanmoins, une normalisation trop importante porterait atteinte à la compétitivité et à l’innovation technologique. Concernant le projet SCOOP, la normalisation progresse (ETSI, ISO).

Sur le plan éthique, les défis concernent la vie privée. Renault rassure sur ce point et attribue une place importante au respect de la vie privée au vu des exigences imposées par la CNIL. La question qui se pose également mais dont les constructeurs, seuls, ne pourront pas apporter de réponse est de savoir si une personne alcoolisée ou mineure pourra s’installer derrière le volant. Le permis de conduire et un taux d’alcoolémie inférieur à un certain seuil semblent toujours nécessaires et obligatoires à moins que la société n’en décide autrement.

Au niveau économique, le coût du véhicule ne doit pas être excessivement élevé. Renault apporte une solution et prévoit un échelonnement des prix en fonction de l’équipement sur le véhicule et du modèle proposé. Quant aux services de R-Link (services sur abonnements), ils seront proposés sur la base de forfaits.

Sur le plan technique, il reste des points que les constructeurs, fournisseurs et opérateurs télécom devront résoudre comme le cas des zones non couvertes par le réseau 4G. Renault présente également les difficultés concernant les cycles de vie divergents des véhicules et des services. Alors que la durée de vie des premiers peut s’étendre à 10-15 ans, le bouquet des services a une durée de vie plus courte.

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